Biographie de Gabriel Laurin
1901-1906
Le 22 février 1901, naît, à Aix en Provence, Séraphin Gabriel Laurin de Pauline Laurin et d'un père qui ne le reconnaît pas. Quelques jours après sa naissance, Laurin est confié à des paysans protestants de Dormillouze, dans les Alpes. Il y reste jusqu'à la mort de son père nourricier, broyé par son moulin. Laurin a 5 ans. Il perd le seul père qu'il ait connu et vraiment aimé. Il s'appelait Auguste Barichon.
1906-1916
Laurin retourne à Aix et vit chez sa grand-mère, avec sa tante Rose [1867-1945], son oncle Marius et sa mère Pauline [1868-1929]. La famille travaille à l'entreprise Milhaud comme trieurs d'amandes et à l'usine d'allumettes d'Aix. La famille Laurin était aisée autrefois. Le père de Pauline possédait une entreprise de location de chevaux au Pont de l'Arc. Sa mort subite oblige la famille à tout vendre et ils aménagent à Aix dans une petite maison, rue Célony, avec très peu d'argent.
Gabriel, rejeté par sa grand-mère, parce que bâtard, vit dans l'étable le jour, pendant que sa mère travaille pour les Milhaud. Il va au Cours Saint Joseph où l'un des Pères lui fait subir tortures (des épines de roses sous ses ongles) et humiliations parce qu'il est bâtard.
Après son certificat de fin d'études, Laurin part pour le Front ; c'est 1914. Ramené par la police militaire parce qu'il n'a que 13 ans, il essaye encore une fois, a 14 ans et là, s'engage dans l'École de Marine militaire de Lorient. À 15 ans, il passe son brevet de mécanicien et travaille dans un atelier de forgeage et de soudage.
1917-1919
A 16 ans, Laurin perd sa main droite dans une explosion dans un atelier de construction navale. Ne supportant pas cette main défigurée, Laurin la sectionne lui-même jusqu'au poignet ; les médecins horrifiés n'ont pas le temps d'intervenir. L'État lui donne un appareil à adapter à son poignet, un bout rond en fer, attaché au bras. Il l'utilisera toute sa vie.
Il doit apprendre à écrire de la main gauche et, grâce à la vente d'une épicerie que l'État lui a donnée en tant que blessé de guerre, Laurin monte à Paris. Là, à 18 ans, il découvre les fortifications, les bals musettes, les jolies filles, la rue de Lappe, devient un Apache, danse la java et mène une vie de " mauvais garçon".
C'est l'après guerre, et c'est un jeune homme manchot, parmi tant d'autres mutilés de la Grande Guerre, voulant rire, s'amuser et oublier.
1919-1930
Laurin est appréhendé par la police, faisant le gué pour des voyous. Il est renvoyé à Aix en garde à vue, puis relâché. Sans vrai métier, il travaille comme maraîcher. Aimant le sport, depuis tout petit, il participe aux compétitions de courses à pied et remporte quelques prix qui lui rapportent de l'argent. Durant une de ces compétitions, il fait la connaissance du grand champion coureur cycliste italien, Dilizzaro, un homme passionné d'art et bon dessinateur. Laurin, est impressionné par les croquis que l'Italien fait des convives du Bar des Sports où ils se trouvent tous les deux, et le lui dit. Dilizzaro lui tend un crayon " tu peux en faire autant".
Laurin rentre à la maison et dit à sa mère " Je vais être artiste ". Laurin n'arrêtera plus jamais de dessiner ou de peindre. En 1922, il entre à l'Ecole des Beaux Arts d'Aix en tant que candidat libre ; il y suit les cours du peintre Marcel Arnaud [1877-1956] lui même grand disciple de Cézanne [1839-1906]. Là, il peaufine son art. À Noël, en 1929, meurt la mère de Laurin. Ce fut le plus grand chagrin de la vie de Gabriel. Grâce à elle et " La Tante Rose ", il a toujours su voir la vie, la nature, sa ville d'Aix et les femmes, surtout les femmes, comme une vraie merveille, une merveille qu'il a su peindre toute sa vie.
1930-1941
À Aix, Laurin et
quelques copains, artistes comme lui, forment le groupe de Bibémus. Ce
sont : André Marchand (1907-1998), Roger Decome (1906-1991), Pierre Mailloux
(1912-2003) et Gilbert Rigaud (1912-2003). En1929-1930, Laurin remporte le 7ème
prix du Concours Conté sur plus de 20,000 concurrents sur toute la France,
et avec les 500 francs offerts avec le prix qu'il remporte, une fortune à
l'époque, il monte à Paris, à Montparnasse et s'inscrit
à la Grande Chaumière. Là, il rencontre la jeune artiste,
Méraud Guiness (1904-1993), la fille de Lord Guiness. Elle épousera
plus tard le grand poète Chilien Alvaro Guevara (1894-1951).
Durant les 5 ans que Laurin passe presque entièrement à Paris,
il rencontre le monde artistique du tout Paris. Darius Milhaud, dont il connait
bien la famille à Aix, trouve ce jeune peintre extraordinaire, et monte
la première exposition Laurin à Paris. Paul Poiret (1879-1944),
le célèbre couturier de l'époque, Jeanne Bucher (1872-1946),
marchande de tableaux, Francis Picabia (1879-1953) et le poète Max Jacob
(!876-1944) [mort tragiquement en déportation] deviennent ses amis intimes.
En 1931, Laurin épouse une des filles Baldini, née Thérèse,
surnommée Yvonne. C'est une amie de jeunesse. Il côtoie Yvonne
et sa soeur Dédé, mais c'est Yvonne qui veut se marier. À
Paris, on surnomme ces jolies Aixoises "les oisillons". En 1933, Laurin
veut rester à Paris ; Yvonne et Dédé veulent retourner
à Aix ; alors d'un commun accord Gabriel et Yvonne divorcent. Ils resteront
de très grands amis toute leur vie.
En 1934, une amie de Méraud vient à Paris lui rendre visite ;
c'est Julia Chanler Beach, (1905-1977) femme du compositeur et grand pianiste
américain, George Beach. Elle est la fille du peintre Robert Winthrop
Chanler (1872-1930) descendant des Astor, et premiers Gouverneurs des États
Unis. Laurin fait sa connaissance et c'est le début d'une grande passion
qui les unira pour toujours. Julia divorce de son mari compositeur. Laurin et
elle se marient en 1936. Ils ont deux enfants : Pauline Rose Laurin, née
en 1936 et Monique Chanler Laurin, née en 1937. Ils font construire une
bastide dans le quartier du Petit Roquefavour, nommée Barjemiou. Les
bruits de la guerre se font entendre et les artistes descendent à Aix
et Marseille. Blaise Cendrars (1887-1961) devient un habitué des Laurin,
ainsi que l'écrivain Ernest Erich Noth (1909-1983). Un jour, Darius Milhaud
, sur le cours Mirabeau, aux Deux Garçons, la plus célèbre
des brasseries aixoises, présente Jean Giono (1895-1970) à Laurin.
Gabriel fera un frontispice pour le livre de Giono " Un de Baumugnes "
(1947).
La situation devient inquiétante. On est 1941. Les Laurin cachent des
aviateurs anglais et canadiens dans une chambre secrète de Barjemiou.
Les allemands les interrogent. D'abord Julia, puis Pauline et Monique ; les
petites n'ont que 4 et cinq ans. Julia s'inquiète et veut partir pour
l'Amérique. En novembre 1941, toutes les trois, Julia, Pauline et Monique
partent pour Lisbonne. Un mois plus tard, elles trouvent des place sur un paquebot,
l'un des derniers à quitter l'Europe pour les États-Unis. Quand
elles sont en mer, Pearl Harbor est bombardé : l'Amérique entre
en guerre. Malgré les démarches de Cendrars et Julia permettant
à Gabriel d'obtenir un visa pour les États Unis, Laurin décide
de rester et de combattre l'ennemi dans sa ville d'Aix.
1941-1947
Des années de clandestinité
commencent pour Laurin. Il change de nom empruntant celui d'une femme qu'il
aime. Il devient Louis Mattei. Gabriel fait partie des groupes francs qui organisent
des opérations de représailles avec les spécialistes envoyés
par Londres. Au début de 1944, il est nommé chef des groupes francs
du département des Bouches-du- Rhône et, à ce titre, arrive
à construire une unité de service de renseignements qui aidera
à identifier les agents de la Gestapo ainsi que les collaborateurs. Grâce
à ses actions, le tortionnaire de la Gestapo Herman est gravement blessé
; Tortora, un agent immonde de la Gestapo est tué. Ainsi, parmi d'autres
trop nombreux à mentionner, est tué l'officier Allemand Forshmann
. Laurin aide les Américains de la 7th Army, au service du Capitaine
Thomson. O.S.S. G-2 dans une opération périlleuse dont il fort
heureux de sortir vivant.
Après la guerre,
refusant tout honneur, Laurin part, pour l'Amérique, voir Julia et ses
deux filles. Toutes trois habitent New York. Julia a retrouvé sa vie
de grande dame de la société New Yorkaise. Cette " société
des 400 " que sa propre famille a contribué à créer.
La vie de bohême est finie pour Julia ; elle pense à l'éducation
de ses filles et ne voit pas la vie de peintre à Aix comme idéal
pour élever deux petites filles de dix et onze ans. Laurin et elle divorcent,
en 1947, mais, toute leur vie, ils resteront grands amis avec un profond respect
l'un pour l'autre.
1946-1960
Laurin se remet à
peindre ; la guerre l'a éloigné quatre ans de son art. Il change
de style, découvre un monde où la nature joue un rôle énorme,
la femme (sous toutes ses formes), chats, poules, poissons et mêmes des
fruits et légumes, la vie quoi ! La guerre s'éloigne.
En 1946, à Paris, à la galerie Denis, Laurin a sa première
exposition d'après guerre. La préface du catalogue est de Maximilien
Vox et sa toile "La Marchande de Légumes " est
acquise par l'État. La réception de l'oeuvre de Laurin est bonne
; des critiques connus et estimés louent son oeuvre.
De retour à Aix, il fait la connaissance de Georges Duthuit (1891-1973),
le gendre de Matisse. Laurin avait connu la fille de Matisse pendant la guerre,
car elle aussi avait combattu, comme Laurin, dès la première heure,
dans la clandestinité. Entre Duthuit et Laurin s'installe une grande
amitié qui durera jusqu'à la mort de Laurin. Madame Matisse habite
Aix et Gabriel va souvent chez elle. Là, il retrouve les autres artistes
et intellectuels qui font d'Aix, une ville vivante, plein d'esprit et de passions.
En 1949, Gabriel retrouve sa famille de nouveau à New York et revoit
son ami et cousin par mariage, Alexander Calder (1898-1976). Les gratte-ciels
de New York le marquent et il peint une toile nommée "La Gare"
étroitement liée à ce moment de découverte. Vers
la fin 49, à son retour de New York, Laurin s'installe à Paris,
rue du Faubourg Saint Martin, dans un ancien gymnase. Il aime la solitude des
rues de Paris, les galeries et les musées. Peindre, dessiner est une
passion. Il porte toujours sur lui calepin, bout de fusain ou crayon.
Il a une exposition en 1951 à la galerie Mai, rue Bonaparte ; le journaliste
et écrivain Jean Bouret (1914-1979) écrit la préface du
catalogue. Toutes ses oeuvres sont vendues. A Paris, il voit souvent Cendrars
qui habite maintenant rue Jean Dolent. Il se sépare de sa compagne Philiberte
Besançon (1906-1972) la seule de ses amies qu'il refuse de revoir. Il
tombe amoureux de Clémence Routant (1903-1984). Toute sa vie, Laurin
lui témoignera un profond respect et une grande amitié.
Laurin retourne à Aix où il retrouve son "cousin" Calder et fait la connaissance d'André Masson (1898-1987) en visite chez Calder au Mas des Roches. Laurin et Calder et sa famille font des excursions ensemble, des pique-niques à Martigues où ils vont souvent manger de la bouillabaisse. En 1953, Julia, Pauline et Monique reviennent à Aix pour la première fois depuis 1941. C'est une joie mêlée d'une profonde tristesse à cause de tout de ce qui a été perdu. Julia et les filles partent pour un tour de la Méditerranée et s'arrêtent à Beyrouth. Elles y vivent un an. Laurin, sur l'invitation de Julia, fera un long séjour dans ce très beau pays. Pour lui, ce pays est une merveille et il en revient imprégné de ses paysages et couleurs.
En 1954, Laurin, de retour de son séjour au Moyen Orient, retrouve sa
ville d'Aix rempli de la couleur de ces pays. Il a une nouvelle compagne, Françoise
Rousselet (1930-1983) ; elle est professeur d'Italien, et, avec elle, il voyage
beaucoup en Espagne et en Italie. Gabriel termine son cabanon de Beauregard,
y vit avec Françoise et sa petite fille, Anne, qui a six ans, surtout
les week-ends où ils font de longues promenades, tous les trois. Là,
Laurin peint, la peint, elle Françoise, en superbe amazone, avec beaucoup
de tendresse.
En 1960, Laurin a sa première exposition à la Galerie Tony Spinazzola
sur le cours Mirabeau d'Aix. À la veille de l'exposition, Laurin écrit
une lettre touchante qu'il adresse à sa famille, sa mère, la tante
Rose et l'Oncle Marius [morts tous les trois depuis longtemps]. Il parle de
sa solitude, de l'amour qu'il leur porte et de sa peine parce qu'ils n'ont jamais
vu une toile à lui accrochée dans une galerie de sa ville d'Aix.
Laurin signait souvent ses toiles, "Gabriel Laurin d'Aix", comme si
Aix était synonyme de Laurin et vice versa. Il ne peut vivre longtemps
séparé de cette ville qu'il aime, et connait si bien. Finalement
sa ville 'voit' Laurin, découvre l'uvre de ce solitaire qui arpente
les rues d'Aix, qui pendant la guerre l'a si bien défendue, et qui maintenant
dévoile au grand jour à tous ces gens, qui l'appelaient le tueur,
le solitaire, le justicier,qu'il est surtout et avant tout leur peintre.Il devient
d'un coup " Monsieur Laurin", et les gens le saluent et lui disent
" vous ", savent qu'il est peintre, qu'il peint Aix. Et ils n'ont
pas tort. Même ses nus sont dans les champs de blés aixois, la
Montagne Sainte-Victoire en arrière plan.
D'ailleurs, en 1966 quand le projet de répandre les cendres de Cézanne
sur la Montagne Sainte-Victoire est suggéré, Laurin écrit
une lettre ouverte au gens d'Aix : "La Sainte-Victoire ne peut être
à personne qu'à elle- même. De génération
en génération, toute notre jeunesse a grimpé sur ses flancs.
Elle n'est que vie et que joie dans l'effort. Le plaisir d'être sur elle
nous faisait chanter et rire dans un vrai bonheur. Le soir de la Saint-Jean,
un grand feu illuminait la montagne. On chantait et on riait. Si demain, elle
devenait une tombe de par un nom, si grand soit-il, il n'y aurait plus là-haut
qu'un grand silence ( on ne rit pas sur un tombeau ! ). Laissons-la seule, à
personne, à tout le monde. De son passé, elle porte un nom magnifique,
ce nom est, doit être la volonté de vaincre. Elle s'est donnée
à Cézanne, à tous ceux qui l'ont aimée, sans partage.
Laissez-la dans son ciel. Elle n'est pas à nous. On ne la verrait plus
dans sa vraie lumière. Par le temps, le nom des hommes se fond dans le
néant, mais elle, elle sera toujours là avec son grand nom: Sainte-Victoire."
(Laurin cité par Vautier, 1966)
Durant les années
60 et jusqu'à sa mort, Laurin monte à Paris au moins sept fois
par an pour voir ses amis, Blaise Cendrars, le Père Bruckberger, George
Duthuit, Ida Chagall, Tino Rossi et sa fille Monique, qui y habite avec ses
six enfants et son mari Reinhard von Nagel, et surtout Julia, sa seconde femme,
qui, malgré leur divorce, reste présente dans la vie de Laurin.
En 1962, il va avec Julia, à San Francisco, voir leur fille Pauline,
et visite Darius Milhaud et Madeleine, à Mills College où tous
deux sont professeurs.
En 1965, une équipe de télévision, sous la réalisation
de Jean-Claude Bringuier et Hubert Knapp, filme Laurin pour l'émission,
intitulée "Crocquis ". L'émission est diffusée
le 13 avril 1966.
En 1967, la Galerie Krane Kalman organise une exposition en Angleterre pour
Laurin. Toute sa famille se trouve là en vacances ; Julia, Pauline avec
deux de ses enfants et Monique avec cinq de ses enfants. Laurin a de brusques
douleurs alors qu'il se trouve à Broadstairs. Emmené d'urgence
à Londres, on diagnostique un cancer de la prostate. Le docteur ne veut
pas qu'il sache ce qu'il a, alors ni ses filles ni Julia ne le lui disent. Ce
n'est que deux ans avant sa mort, que sa fille Monique trouve qu'il est nécessaire
de le lui dire.
Laurin va, pour la première fois de sa vie, en Allemagne, pour une semaine,
avec son gendre Reinhard von Nagel, et dit à sa fille "tu vois la
guerre, c'est bien fini".
En 1968, une exposition à la Galerie Christiane Colin, quai Bourbon,
montre les dernières toiles de Laurin et ses pastels et dessins. Des
femmes " Carpes", nues, couleurs vives, scènes de bars couleurs
chartreuses, des paysages d'Aix avec des femmes amazones allongées devant
la Sainte-Victoire : Laurin est heureux. La jeunesse de Mai 68 l'émeut
beaucoup et le noyé de l'usine de Flin l'attriste et lui inspire une
affiche sur cette mort, affiche qui évoque si bien le mouvement de Mai
1968.
En 1970, la fille de Laurin, Monique, et son mari Reinhard, organisent une exposition
à la galerie Katia Granoff à Paris. Ayant eu de bonnes critiques
et ayant bien vendu, Laurin retourne sur Aix et a un dernier accrochage public
de ses oeuvres. C'est à Aix, sur le cours Mirabeau, à la galerie
des Amis des Arts.
En 1972, Laurin entre dans une clinique où il meurt le 20 février
1973, deux jours avant sont 72ième anniversaire, avec sa fille Monique
à son chevet. Il est inhumé au cimetière Saint-Pierre,
non loin de la tombe de Cézanne et de son ami Darius Milhaud.
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